CFA: La justice entre droit et conscience du Moyen Âge à nos jours

La justice entre droit et conscience du Moyen Âge à nos jours
Dijon – Université de Bourgogne – CGC et ARTeHIS- octobre 2013

avant le 30 septembre 2012

Le principe de l’intime conviction, qui ne rend pas les preuves nécessaires, a été estimé inconcevable durant des siècles. Au Moyen Âge, les juristes ne cessent de dire que le juge ne doit pas juger selon sa conscience, mais en se fondant sur la loi et sur des preuves. À l’époque moderne, les juges doivent s’appuyer sur le système des preuves légales, « plus claires que le jour ». Mais depuis la Révolution, les jurés d’assises jugent selon leur intime conviction, « en leur âme et conscience ». L’intime conviction n’est-elle pas une forme de sécularisation de l’idée religieuse de conscience ? (A. Padoa-Schioppa)

De nombreux travaux ont révélé que, en dépit de l’affirmation souvent réitérée de l’obligation faite aux juges de juger selon la loi et non en suivant leur conscience, les penseurs faisaient état d’une réalité plus complexe : les rapports entre le droit et la conscience sont affectés par une tension qui non seulement ne s’est jamais démentie, mais qui s’est développée jusqu’à placer la conscience au premier rang, sans pour autant que la tension disparaisse. Ce colloque souhaite reprendre cette question où bien des pistes ont déjà été tracées, mais dont plusieurs demandent à être prolongées ou reprises. Elle sera examinée tant sous l’angle doctrinal qu’à travers les pratiques, les représentations et les fictions, et elle fera donc appel principalement aux historiens, aux juristes, aux philosophes, aux spécialistes de la littérature. Toutes les catégories de documents pourront être sollicitées : textes doctrinaux, manuels, documents judiciaires, chroniques et textes narratifs, fictions, images…

Nous proposons d’évoquer, sans  que la liste soit exhaustive ni limitative, les thèmes suivants :

Les juges et la conscience. Au Moyen Âge, si le droit commun (ius commune) réaffirme le principe du droit romain sur l’obligation faite aux juges de juger selon la loi et les preuves, ceux-ci prêtent un serment par lequel ils se soumettent à Dieu et à leur conscience, et cette conscience est chrétienne. Elle est définie à la fois comme connaissance des faits et comme conscience morale. De là découle une tension exprimée d’abord par l’arbitraire (arbitrium) du juge, présenté comme un recours dès lors que la preuve n’est pas pleine et entière ; ensuite par les débats doctrinaux sur la vérité judiciaire, quand le juge a acquis une connaissance hors du tribunal, mais que celle-ci s’avère différente de celle qui ressort des débats judiciaires. Cette conception se précise pendant l’Ancien Régime : les parlements ne se considèrent pas comme menottés par le système des preuves légales, que les juges des tribunaux inférieurs, eux, doivent appliquer sans état d’âme. À l’époque contemporaine, si les jurés d’assises jugent en leur âme et conscience, en revanche les autres tribunaux ne peuvent condamner que si trois éléments sont réunis : l’élément légal (les faits visés sont punis par la loi), l’élément matériel (les faits sont bel et bien constitués), l’élément moral (le prévenu avait l’intention de commettre le délit).
  La controverse sur le droit et l’équité. Le conflit fréquent entre l’équité et la loi, entre la « justice naturelle » et l’application stricte de la législation, pose un véritable dilemme au juge et se rencontre à toutes les époques, Canonistes et civilistes ont eu des appréciations différentes : pour les premiers, il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, alors que les seconds sont réputés plus stricts dans la volonté de s’en tenir à la loi humaine. Les docteurs posaient la question de l’adéquation entre la loi divine et le droit positif : on pourra, par exemple, examiner quels sont les enjeux de ces débats doctrinaux. Prônée pendant l’Ancien Régime, du moins pour les juges supérieurs, rejetée sans nuances, en théorie mais pas en pratique, dans les premières décennies du xixe siècle (dans la crainte qu’elle ne favorise la remise en cause de l’ordre social et politique), l’équité a été admise ensuite, pour être finalement valorisée comme un idéal, sous réserve de ne pas porter atteinte à la loi, et comme source d’inspiration pour pallier ses insuffisances. Dans ces conditions, le jugement « parfait » n’est-il pas celui qui, fondé en équité, ne heurte pas la loi ?
  Le prince, la loi et la justice. La loi est l’émanation du législateur souverain. À partir du xve siècle, les principes précédemment énoncés commencent à être battus en brèche ; dans les nouvelles principautés, la justice est liée au pouvoir et de plus en plus à l’interprétation de la loi. Cela suscite des positions divergentes où cette fois la conscience de l’homme, et non plus seulement celle du juge, est en question : certains penseurs affirment désormais l’adéquation entre le salut et l’obéissance au prince, ou la capacité de la loi positive autonome à créer du droit liant la conscience de l’homme dans le for interne. La crise conciliaire de la fin du Moyen Âge a conduit à une redistribution des pouvoirs au profit des principautés laïques : on pourra par exemple observer l’évolution de la Pénitencerie apostolique et dans quelle mesure elle  tend à absorber une partie des causes jugées par les tribunaux ecclésiastiques, opérant par là un glissement du for externe au for interne. Les parlements de l’Ancien Régime agissent, certes, au nom du roi et de ses lois ; mais en cas de désaccord, ils se présentent comme les gardiens de la « loi vivante », antérieure et supérieure à la « loi positive ». Une telle prétention disparaît à l’époque contemporaine, ce qui n’empêche pas la Cour de cassation, mais aussi les autres juridictions, d’interpréter la loi, voire de prendre des décisions qui, faisant jurisprudence, la contredisent ou anticipent sur elle (parfois même les deux à la fois).
Le for interne et le for externe. À l’opposé de la tendance précédente, dès la fin du Moyen Âge, des penseurs font valoir à travers leurs écrits une fracture entre la conscience et le droit positif. Que l’on pense à la condamnation par Jean Gerson de l’abus du recours à l’excommunication parce que c’était, de la part de certains ecclésiastiques, faire passer la transgression de leurs lois pour la violation de la loi divine. D’autres, en pensant le décalage entre la loi positive et les normes morales, ouvrent la voie à la Réforme. En 1898, le président du tribunal de Château-Thierry, Paul Magnaud, résolvait ce problème à sa manière : il acquittait Louise Ménard, ouvrière de vingt-deux ans prévenue d’avoir volé un pain, alors qu’elle et sa famille (sa mère et sa fille) n’avaient pas mangé depuis deux jours ; ce jugement, décidé en faisant prévaloir sa conscience sur la loi, lui valut alors la réputation de « bon juge ». À notre époque, c’est la conscience qui détermine le choix final du juge, du moins en cour d’assises : la notion d’intime conviction est bien la marque de ce subjectivisme.
Normes juridiques, normes morales. Il semble qu’à partir du xve siècle le droit canonique perde sa primauté comme science du devoir-être au profit de la théologie morale (Paolo Prodi). Les sommes pastorales et les manuels de confesseurs posent la question des rapports entre la conscience et la loi. Il conviendrait d’étudier les phases et les modalités de la distance qui s’instaure entre les normes juridiques et les normes morales à travers la philosophie morale et la théologie.

Si le thème du colloque est pertinent pour toute la période envisagée, il ne l’est pas moins dans l’actualité immédiate. On peut ainsi se demander si l’introduction récente de jurés populaires (les « citoyens assesseurs ») dans les tribunaux correctionnels, en élargissant le principe des jurys d’assises, ne vise pas à introduire dans ces tribunaux l’intime conviction, donc une « conscience populaire ».

Les propositions de communication (un titre et un projet d’une demi-page) doivent être envoyées avant le 30 septembre 2012 à bgarnot@aol.com et brunolemesle@cegetel.net

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