CfP: Rencontres Annuelles d’Ethnographie de l’EHESS

Rencontres Annuelles d’Ethnographie de l’EHESS
3ème édition, 2016

Les propositions de communication d’environ 500 mots devront être adressées avant le 22 mai
2016 aux organisateurs des différents ateliers.

Atelier 2
Saisir par l’ethnographie les processus contemporains de recomposition des groupes
sociaux dans les pays de l’ancien bloc socialiste et ailleurs

→ Envoi des propositions :
Pierre Deffontaines, Université de Bourgogne, CASAER : petrodeffontaines@gmail.com
Mihaela Hainagiu, EHESS, IRIS/CMH-ETT-Tepsis : mihaelahainagiu@yahoo.com
Au tournant des années 1990, les régimes communistes d’Europe et d’Asie s’effondrent. Les
reconfigurations des espaces politiques et économiques, nourries des différentes versions du
néolibéralisme, affectent l’ordre social, participant à la recomposition des frontières entre groupes
sociaux et à l’effritement de certains d’entre eux. Les restructurations de l’industrie lourde et
d’extraction induisent une chute de la production industrielle et agricole (Crowley 1997; Kideckel
2008) et font disparaître progressivement des bastions de « la classe ouvrière », autrefois au cœur
de l’idéologie des régimes socialistes. Le démantèlement des grandes exploitations agricoles
collectivisées marque la fin d’une société rurale fondée sur le salariat et la spécialisation
professionnelle institutionnalisée (Deffontaines 2016). Parallèlement, l’ouverture du secteur privé
tout comme la mise en place de nouveaux outils symboliques et matériels de gouvernement de
l’économie (la Bourse, l’actionnariat populaire, les plateformes Internet et la littérature de B.A.-
BA du petit investisseur chargés de véhiculer la pédagogie du capitalisme, la fabrique et la
promotion des nouvelles figures de l’entrepreneur et de l’actionnaire) ouvrent des possibilités de
mobilité aux franges les plus stables des milieux populaires et, surtout, participent à la
différenciation sociale des couches moyennes (Hainagiu 2016). Les fractions hautes de l’échelle
sociale se recomposent également (Verdery 1996, Humphrey 2002) entre la cristallisation d’un
noyau d’« une bourgeoisie d’État » à travers la domination reproduite des cadres communistes dans
les espaces politiques et/ou économiques et l’émergence des « nouveaux riches » remarquables par
leurs pratiques de consommation ostentatoire.
Ainsi, la question de l’émergence de nouvelles lignes de clivages sociaux dans l’ancien bloc
soviétique est une question sociale de taille. Pour autant, relativement peu d’études académiques
sur ces pays l’ont prise pour objet ou pour outil d’analyse. Cela tient non seulement à l’histoire de
la sociologie durant la période socialiste (interdiction, adoption d’une doxa Marxiste-Léniniste) et
postsocialiste (anticommunisme, bannissement du terme de « classe ») et à l’absence de parole
politique sur ces questions, mais également à la faiblesse et à l’opacité des données statistiques
disponibles sur ces terrains. En fait, les appareils statistiques nationaux sont dépassés par les
changements économiques rapides et peinent à ajuster leurs outils à la nouvelle donne (Cirstocea,
Hainagiu 2013). À cela s’ajoute les effets d’imposition par l’Union Européenne d’outils et de
nouveaux découpages statistiques des groupes professionnels qui ne permettent plus de
véritablement comprendre la spécificité des recompositions de groupes sociaux (Plessz 2012).
Un certain renouveau est tout de même à noter au tournant du milieu des années 2000 : en
Roumanie par exemple, une nouvelle génération de chercheurs, formés à l’étranger pour la plupart,
rompt avec les grilles d’appréhension du monde social forgées par « l’intelligentsia libéraleconservatrice
» qui prenait la classe pour « une catégorie résiduelle du marxisme soviétique » et
met au cœur du questionnement sociologique les rapports de classe (Ban 2014). Notre appel à
communication s’inscrit dans la continuité de ce regain d’intérêt académique, encore fragile, pour
cette question sociologique. Il s’agit de saisir par des ethnographies fines les processus
contemporains de recomposition des groupes sociaux en Europe de l’Est, induites par les
transformations d’inspiration néolibérale de l’organisation économique. L’ethnographie nous
semble être, dans le contexte politique et académique évoqué plus haut, une méthode de choix
pour saisir ces recompositions: s’employant à appréhender finement les trajectoires, les interactions
et les pratiques sociales au ras du sol, elle permet en fait de saisir la différenciation sociale (toutes
les différences sociales qui font la différence) tout comme d’interroger la pertinence et les failles
des outils statistiques. Comment l’ethnographie permet-elle en effet d’éclairer l’émergence des
nouvelles frontières entre les groupes, les nouvelles hiérarchies sociales et la structuration des
rapports de classe ?
Les communications pourront aborder cette question selon l’axe de leur choix :
– Une réflexion – empiriquement fondée – sur les apports de l’ethnographie à l’étude de cette
question: Quels sont les apports spécifiques, les gains heuristiques de l’ethnographie
comparativement à d’autres méthodes (statistiques, entretiens)?
– Les enjeux méthodologiques : Quels sont les critères et les éléments pris en compte par
l’ethnographe pour saisir la position sociale des individus et des groupes sociaux dans l’espace
social ? Comment administrer la preuve en sociologue en l’absence de données fiables sur un
espace plus large que celui de l’enquête ? Comment objectiver la position sociale dans un contexte
historique où de nombreux acteurs sociaux connaissent des ruptures dans leurs trajectoires
professionnelles et sociales ?
– Les recompositions sociales touchant un groupe particulier : Quel est le destin social de
différents groupes (groupe des travailleurs, groupe des cadres, etc.) ? Quels sont les processus de
différenciation sociale au sein d’un groupe particulier ?
– L’émergence des nouvelles pratiques économiques révélatrices des processus de
différenciation sociale et de recomposition de nouveaux rapports de classe: Comment des pratiques
économiques, telles que le placement d’argent en actions, les pratiques d’épargne, de
consommation, d’investissement (dans l’immobilier, etc.) des particuliers participent-elle à la
différenciation sociale des individus? Comment mettent-elles en jeu des nouveaux rapports de
classes ?
– Les effets des politiques publiques sur la transformation des rapports de classes : Quels
sont les effets des réformes et des modes de construction étatique des groupes sociaux sur les
processus de différenciation sociale à travers la circulation de catégories administratives ou la
valorisation de capitaux particuliers ? Comment la transformation des outils statistiques et le
travail académique en sciences sociales influent-ils sur ces mêmes processus ?
Des propositions se penchant sur d’autres contextes historiques (l’Afrique postcoloniale, l’Asie,
par exemple, mais aussi la France) pourraient apporter par la comparaison un éclairage particulier
sur cette question des apports de l’ethnographie à l’étude des recompositions des groupes sociaux
dans une situation de transformations sociales et économiques. Car les interrogations que nous
formulons à partir de nos travaux respectifs sur les sociétés postsocialistes valent bien entendu audelà
de ces dernières : il est question in fine de savoir comment l’approche ethnographique peut
contribuer à la compréhension sociologique des transformations des classes sociales aujourd’hui.
Les propositions de communication s’appuieront sur des enquêtes ethnographiques de longue
durée. Elles prendront soin d’inscrire les phénomènes étudiés dans les différents contextes
historiques de production qui les ont rendus possibles, s’efforceront de conjuguer des observations
des pratiques, des interactions sociales et des entretiens ethnographiques soucieux de retracer les
trajectoires sociales, tout en menant un travail réflexif sur les incidences des modes et conditions
de recueil de matériaux sur les résultats et les analyses.
Bibliographie indicative :
Ban C., « Generaţia 08: Analiza de clasă şi stânga intelectuală în România », Vatra, n° 6-7, 2014
Cirstocea I., Hainagiu M., « Notes de recherche sur l’histoire des classifications professionnelles en Roumanie
replacées dans leurs contextes de production », document de travail de l’ANR Quantifier l’Europe. Genèse,
instrumentation et appropriations comparées du processus d’harmonisation des nomenclatures socio-économiques
(EURéQUA), mai 2013
Crowley S., Hot coal, cold steel. Russian and Ukrainian workers from the end of the Soviet Union to the
postcommunist transformations, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1997
Humphrey C., The Unmaking of Soviet Life: Everyday Economies after Socialism, New-York, Cornell University
press, 2002
Kideckel D., Getting By in Posts-Socialist Romania: Labor, the Body, and Working-Class Culture, Indiana University
Press, Bloomington, 2008
Plessz M., Le prix du marché : les générations et l’emploi en Europe centrale postcommuniste, Paris, Éditions Petra,
2012
Verdery K., What Was Socialism and What Comes Next, Princeton, Princeton University Press, 1996
*

Author: admin

Share This Post On