CfP: Temporalités et mutations du monde russe et post-soviétique

Temporalités et mutations du monde russe et post-soviétique

Avant le 15 décembre 2014.

Vingt-trois ans après la chute de l’Union Soviétique, les termes et les concepts dans lesquels peut s’appréhender la Russie contemporaine ont évolué. Dans l’optique d’une lecture à l’aune des temporalités (c’est-à-dire d’une vision plurielle des temps humains, par opposition à une vision objectivée d’un temps qui serait continu et uniforme), les interprétations des mutations vécues se font concurrence : si la piste d’une conjoncture révolutionnaire n’a jamais été suivie, les questionnements sur la « transition », rapidement dépassés, ont été relayés par d’autres approches qui font place aux notions de path dependency, de transformations et de mutations qui vont bien au-delà d’un simple changement de régime, mais produisent des configurations inédites, pour l’analyse desquelles de nouveaux outils sont actuellement pensés. D’autres travaux ont mis en avant une superposition particulière de temporalités différentes (temps économique vs temps politique et temps sociétal) qui rendent d’autant plus complexe l’analyse de ces transformations.

De quelle manière les évolutions et les mutations sont-elles donc présentées ? Qu’est-ce qui relève, dans ces représentations, de la rupture, et de la continuité ?

Temporalités individuelles et collectives, mais aussi temporalités économiques, politiques et sociétales sont à envisager dans leur singularité, dans leurs articulations et leurs tensions. Les points de rupture et les bifurcations sont à envisager avec attention car ils ne correspondent pas toujours, loin s’en faut, à ce que le sens commun désigne comme les événements clés. Quant à la continuité, elle peut s’appréhender par un retour sur l’histoire russe et soviétique en particulier par la manière dont celle-ci est convoquée comme source de modèles, d’antithèses ou de références. L’histoire (history) inspire ainsi une réflexion sur les mutations vécues, mais également des pratiques, mises en œuvre dans le cadre de politiques publiques et institutionnelles.

L’histoire racontée (les récits historiques – stories), qu’elle raconte l’histoire collective ou individuelle, met en évidence ces ruptures et/ou ces continuités. L’histoire comme formalisation de la mémoire collective relève de l’activité herméneutique qui, dans ses manifestations extrêmes conduit de l’interprétation à la réinterprétation et à la falsification. La mémoire collective passe aussi par la constitution d’un patrimoine, institution qui est aujourd’hui interprétée comme appartenant à l’ordre du figement. Face aux processus propres à la constitution ou à la fabrication d’une mémoire collective, on trouve aussi la construction des mémoires individuelles, qui passent par la tenue d’un journal ou par le témoignage rétrospectif. C’est ce que propose A. Yurchak qui convoque différents matériaux et plusieurs disciplines pour montrer dans Everything was forever, until it was no more à la fois à quel pointle régime soviétique tardif semblait éternel et comment sa fin était attendue et prévisible. Les écrits, les récits de vie comme sources de connaissance pour les sciences sociales des mutations vécues par le monde russe peuvent être un axe d’étude pour comprendre quel rôle joue le passé et son appréhension dans l’écriture du présent et de l’avenir. En outre, le travail sur la vie quotidienne permettrait une approche anthropologique de la question des temporalités dans le monde russe.

Cette histoire est à la fois celle de l’empire russe d’avant 1917, et celle de l’Union soviétique. Dans les représentations « grand public » des mutations de la Russie actuelle, on rencontre des discours qui mettent en avant le retour du soviétisme, ou bien la question de l’empire – pour aboutir souvent à la conclusion hâtive selon laquelle la Russie vit dans une forme assumée de continuité, notamment celle du pouvoir fort. L’analyse des discours, des représentations et des pratiques permettra de déceler l’utilisation de références à une cyclicité dans le cadre de la fabrication d’un autre système, d’une reconfiguration, d’une nouvelle combinaison, qui associe les éléments anciens aux mutations nécessairement nouvelles.

Dans la catégorie des représentations, il serait également intéressant d’étudier le rôle des mythes, qu’il s’agisse de ceux auxquels adhèrent les Russes en Russie, ou de ceux que se fabriquent les Occidentaux. Le mythe a une fonction fondatrice, une fonction d’identification, mais aussi d’explication, il est ancré dans le temps long : comment s’écrit-il et quelle influence a-t-il dans la construction des nouvelles configurations russes ? Du reste, la notion de mythe elle-même est à interroger : créer une configuration mythique est sans nul doute une ambition du pouvoir, mais le marketing politique suffit-il à donner naissance à une telle construction ?

Si l’on s’intéresse au court terme, une des catégories du temps est celle du rythme et du tempo : par quels moyens le pouvoir donne-t-il son tempo à la société russe ? Et comment ce tempo donné sur l’action à court terme se combine-t-il avec le sentiment donné par V. Poutine à la société que le pays est en voie de redressement sur le long terme – ou même que le processus est abouti, compte tenu de la place retrouvée de la Russie sur la scène internationale par exemple (la gestion de la crise ukrainienne peut fournir une étude de cas intéressante sur ce point) ? Ceci amène à une autre interrogation, celle du tempo que la Russie chercherait à donner au monde en procédant à des transformations qui contribuent à construire un nouvel ordre international, introduisant de l’incertitude qui rendrait caduque la temporalité de l’après-guerre froide.

Le tempo du pouvoir est donné par la politique intérieure sous sa forme institutionnelle, c’est-à-dire par les réformes conçues, votées puis mises en application sous la présidence de V. Poutine – processus dont le calendrier serait intéressant à observer. Mais il passe aussi par la politique intérieure en tant qu’elle est menée par l’homme V. Poutine, et son instauration d’une verticale du pouvoir, qui engendre en retour résistances et révoltes, émergence d’oppositions ou au contraire de mouvements de soutien et d’appui au pouvoir en place. Quelle utilisation des médias et des réseaux sociaux observe-t-on dans le renouvellement ou le développement des modes de mobilisation et comment reconfigurent-ils les temporalités politiques ?

On pourra également accorder une importance particulière aux temporalités de crise : face aux conjonctures critiques, le pouvoir est tantôt dans une logique de confrontation (la crise constitutionnelle d’octobre 1993 en fournit un exemple), tantôt dans une logique d’aplanissement.

De manière générale, caractériser les différentes temporalités à l’œuvre dans les discours sur la Russie actuelle permet de réfléchir aux temporalités que l’on associe généralement aux régimes dits démocratiques représentant la plupart des sociétés occidentales et montrer en quoi elles se distingueraient d’autres régimes. On peut par exemple s’intéresser aux temporalités propres au vote et aux campagnes électorales, ainsi qu’à l’alternance. La notion de temporalités pourrait être explorée sur le long et le court terme. Elle recouvre le rapport au temps dans toute sa diversité : les temps sociaux et de sociabilité de la vie quotidienne, le rapport à la culture et à la politique.

La revue Temporalités étant pluridisciplinaire, les articles attendus pourront relever de différentes disciplines des sciences humaines – sociologie, anthropologie, économie, science politique, histoire, droit, linguistique. Cette liste n’est pas exhaustive. La revue privilégie la publication des résultats de recherches empiriques et dont le périmètre est clairement délimité.

Appel à articles pour le n° 22 de Temporalités (2015/2) — « Temporalités et mutations du monde russe et post-soviétique »

Dossier coordonné par Natalia Leclerc (UBO) et Anne Le Huérou (Université Paris Ouest Nanterre, ISP, CERCEC)

Envoi des projets d’articles
La sélection des projets d’articles se fera à partir d’une note d’intention de 5 000 signes, qui devra parvenir aux coordinateurs du numéro, Natalia Leclerc (natalialeclerc@gmail.com) et Anne Le Huérou (anne.lehuerou@free.fr), ainsi qu’au secrétariat de rédaction de la revue (temporalites@revues.org)

avant le 15 décembre 2014.
Calendrier récapitulatif, échéances
Réception des propositions (résumés de 5 000 signes maximum) : 15 décembre 2014
Réponse des coordinateurs : 15 janvier 2015
Réception des articles (50 000 signes maximum) : 15 avril 2015
Retour des expertises des referees : 30 mai 2015
Réception de la version révisée : 1er septembre 2015
Remise des version définitives : 15 octobre 2015
Parution : décembre 2015
Nos consignes aux auteurs :

http://temporalites.revues.org/684

Nos procédures :

http://temporalites.revues.org/683

Comité de Rédaction
Béatrice Barthe, Maître de conférences, Docteur en ergonomie, UMR 5263 CNRS, Université Toulouse 2 le Mirail – Cognition, Langues, Langage & Ergonomie (CLLE)
Jean-Michel Baudouin, Professeur en sciences de l’éducation à l’université de Genève
Paul Bouffartigue, Directeur de recherche CNRS au Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (LEST).
Jean-Yves Boulin, Chargé de recherche CNRS à l’Irisso (Dauphine). Temps de travail, temps de la ville.
Sylvie Célérier, Professeur Université de Lille 1 – Clersé. Chercheur associée CEE
Beate Collet, Maître de Conférence en sociologie, GEMASS, UMR 8598, Paris 4
Didier Demazère, Directeur de recherche CNRS au Centre de sociologie des organisations (CSO, Sciences-Po)
François-Xavier Devetter, Maître de conférences en sciences économiques au Clersé (Lille 1)
Claude Dubar, Professeur émérite de sociologie à l’université de Versailles – Saint-Quentin
Ghislaine Gallenga, Maîtresse de Conférences en Anthropologie, Université d’Aix-Marseille — Institut D’Ethnologie Européenne Méditerranéenne Et Comparative – IDEMEC CNRS UMR 7307
Natalia Leclerc, Professeur agrégée de lettres modernes à l’université de Brest, docteur en littérature générale et comparée
Léa Lima, Maître de conférences en sociologie au Cnam, Directrice adjointe du LISE, UMR 3320
Jean-Marc Ramos, Maître de conférences en sociologie à l’université Paul Valéry – Montpellier 3. Membre fondateur de Temporalités, il a codirigé le bulletin Temporalistes avec William Grossin.
Nicolas Robette, Maître de conférences en démographie à l’université de Versailles – Saint Quentin, membre du laboratoire Printemps et chercheur associé à l’Ined
Mélanie Roussel, Docteure en sociologie, Centre universitaire de Recherches sur l’Action Publique et le Politique, Épistémologie et Sciences Sociales – CURAPP-ESS (UMR 7319)
Diane-Gabrielle Tremblay, Professeur, Université du Québec, TÉLUQ. Chaire de recherche sur les enjeux socio-organisationnels de l’économie du savoir, gestion des âges et des temps sociaux
Comité scientifique
Nadya Araujo Guimaraes, Professeur de sociologie à l’université de São Paulo. Rôle des institutions sur le marché du travail, liens entre genre, origine ethnique et emploi.
Thierry Blin, Maître de conférences en sociologie à l’université Montpellier III. Action collective, mouvements sociaux, mais aussi l’œuvre d’Alfred Schütz.
Maryse Bresson, Professeur de sociologie à l’université de Versailles – Saint-Quentin. Membre du laboratoire Printemps, spécialisée dans la sociologie des précarités et de l’intervention sociale.
Nathalie Burnay, Docteur en sociologie, enseigne à l’université catholique de Louvain. Chômage, retraite, transmission.
Frédéric de Coninck, Ingénieur général des ponts et chassées habilité à diriger des recherches en sociologie. Directeur de l’école doctorale Ville et environnement de Paris Est. Codirige le numéro 16 sur les conflits de temporalités dans les organisations.
Ghislaine Gallenga, Maître de conférences au département d’anthropologie de l’université de Provence, elle est responsable de l’axe de recherches « Transformations des entreprises, des métiers et des espaces » au laboratoire Idemec, où elle conduit des recherches de terrain en ethnologie de l’entreprise.
Corinne Gaudart, Chargée de recherche CNRS en ergonomie au Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (Lise – CNAM). Conditions de travail, ergonomie du travail.
Abdelhafid Hammouche , Professeur de sociologie à Lille 1 et directeur du Clersé. Action publique dans l’espace urbain, famille en situation migratoire, rapports d’autorité intergénérations.
Christian Lalive d’Épinay, Professeur honoraire au centre interfacultaire de gérontologie de Genève. Parcours de vie, vieillesse, loisirs et travail, récits de vie, culture et dynamique des sociétés industrielles.
Michel Lallement, Professeur de sociologie au CNAM et ancien directeur du Lise. Régulations du travail et de l’emploi, travail et utopie, trajectoires sociales et production culturelle.
Carmen Leccardi, Professeur de sociologie à l’université Bicocca de Milan. Processus de mutations culturelles, implications éthiques et de pouvoir de la question temporelle.
Élisabeth Longuenesse , Chercheuse en sociologie à l’Institut français du proche-orient (Ifpo). Travail et question sociale, professions savantes et syndicalisme professionnel, migrations et mobilités.
Catherine Omnès, Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Versailles – Saint-Quentin, présidente du conseil scientifique du Comité d’histoire de la sécurité sociale, Catherine Omnès travaille sur les marchés du travail et les trajectoires professionnelles, la santé et la sécurité au travail, et les pratiques et politiques patronales.
Vanilda Païva , Professeur retraitée de l’université fédérale de Rio de Janeiro. Sociologie de l’éducation.
Agnès Pélage, Maître de conférences en sociologie à l’UVSQ et membre du laboratoire Printemps. Classes sociales, construction sociale du droit du travail, direction de l’enseignement secondaire.
Jérôme Pélisse, Maître de conférences en sociologie et directeur du laboratoire Printemps. Négociations dans le milieu du travail, temps de travail, action publique en matière d’emploi, sociologie du droit.
Emília Rodrigues Araújo , Professeur de sociologie à l’université de Minho (Portugal) : sociologie de la culture et représentations du temps.
Christiane Rolle, Ingénieur d’Études UVSQ en retraite. Ancienne secrétaire de rédaction de la revue, a notamment coordonné, avec Morgan Jouvenet, le dossier du n° 14.
Laurence Roulleau-Berger, Directrice de recherche CNRS en sociologie, Triangle, ENS-Lyon. Villes internationales (Europe et Chine et économies plurielles), emploi, migrations, désoccidentalisation de la sociologie.
Gabrielle Varro, Chargée de recherche en sociologie au CNRS HDR (retraitée).
Didier Vrancken , Professeur de sociologie à l’université de Liège et directeur du Centre de recherche et d’intervention sociologiques. Action et intervention en siuation d’incertitude. Parcours de vie.

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