Passé, présent, avenir de l’Islam en Russie

Passé, présent, EHESSavenir de l’Islam en Russie : entre la recherche et le discours public

Прошлое, настоящее, будущее ислама в России: Между наукой и общественными дискурсами

Lundi 22 avril 2013

EHESS, salle 640 – 190-8 avenue de France
Paris, France (75013)

La situation politique, économique et sociale de la Russie a été marquée depuis le milieu des années 2000 par une remontée de la xénophobie, dans son expression islamophobe en particulier, dont maints observateurs donnent pour raison l’intensification récente des migrations de travail en provenance du Caucase (Nord et Sud) et de l’Asie Centrale anciennement soviétiques. Ces trois dernières années, en outre, les lendemains de “printemps arabes” créaient dans l’opinion russe l’impression, entretenue par le pouvoir politique et les média, d’une coalition d’intérêts antirusses au Proche-Orient alliant puissances occidentales et pays de la péninsule Arabique soutenant l’aile la plus religieuse des mouvements révolutionnaires sunnites actuels.

Ces évolutions récentes sont venues se greffer sur un substrat particulièrement délétère créé par les deux guerres de Tchétchénie dans les années 1990 et le renforcement de la « lutte contre l’extrémisme » islamique dans les années qui ont suivi le 11 septembre. En 2012, l’extension de la violence publique à des régions de Russie épargnées jusqu’alors par le terrorisme — vers la Moyenne-Volga spécialement, avec les attentats simultanés contre le mufti et le vice-mufti du Tatarstan en juillet de l’année dernière — n’a pas contribué à apaiser les esprits. Le climat particulier créé par cet ensemble d’évolutions n’a pas permis l’apparition d’un discours public dépassionné sur l’islam et sur les musulmans de Russie. Et ce ne sont pas les innombrables rivalités de personnes et de tendances dont le champ religieux multiconfessionnel de la Russie est le théâtre depuis la fin de la période soviétique qui paraissent susceptibles d’améliorer les choses.

Dans ce contexte, la recherche en histoire et en sciences sociales sur l’islam en Russie, ouverte depuis un quart de siècle aux chercheurs internationaux, s’est distinguée à la fois par une extrême diversification d’approches et de méthodes (si on la compare, en particulier, aux pratiques orientées de l’époque soviétique) et par l’émergence de nouveaux obstacles, parmi lesquels les chercheurs eux-mêmes mentionnent souvent :

les lignes politiques imposées par le Kremlin et les pouvoirs régionaux et locaux (construction d’une “nation russe” une et indivisible ; promotion de la “tolérance” interconfessionnelle, stigmatisant en fait les mouvements hostiles à l’establishment religieux hérité de l’URSS ; extrême méfiance à l’encontre des pratiques souvent traditionnelles portées par les populations migrantes d’arrivée très récente en provenance du Caucase et de l’Asie Centrale ; nombreux amalgames entre des formes de pratique et de pensée religieuse islamique en fait extrêmement diverses voire mutuellement incompatibles ; etc.) ;
les remises en cause ouverte des principes de laïcité proclamés par l’administration Eltsine en 1990 mais piétinés par la même administration dès 1997, au lendemain de la défaite russe contre la Tchétchénie ;
les exigences croissantes du pouvoir judiciaire civil russe sur la définition d’un “bon” et d’un “mauvais” islam, avec une large participation des experts du fait religieux (et d’une partie de la recherche publique) dans des débats de plus en plus ouvertement théologiques ;
les interventions croissantes des establishments religieux orthodoxe et musulman dans le champ politique, notamment contre leurs rivaux des réseaux missionnaires transnationaux chrétiens et musulmans ;
les rivalités entre groupes de fidèles intensifiées par la privatisation et la “restitution” depuis 1993 des “biens de l’Eglise” ainsi que la collecte de la dîme musulmane (zakat) — dans les régions pétrolifères en particulier, comme le Tatarstan gagné par la violence publique ; etc.
le rejet par une parte de la jeunesse musulmane pratiquante de ces establishments (qu’il s’agisse des muftiyyat omniprésentes dans le débat public comme des voies soufies traditionnelles qui leur sont souvent, en fait, étroitement alliées).

Toutes raisons pour lesquelles il nous a semblé opportun de réunir un groupe de chercheurs de disciplines et d’intérêts variés pour nous interroger ensemble sur les acquis, les enjeux et les problèmes de la recherche actuelle sur l’islam en Russie. Ce que nous nous proposons de faire à la fois d’un point de vue épistémologique, mais aussi en tenant le plus large compte des impacts du cadre institutionnel changeant de la recherche sur les contenus de cette dernière. En tenant compte aussi de la position du chercheur comme citoyen et de la très large participation des experts académique à la réélaboration constante du discours public sur l’islam et les musulmans en Russie aujourd’hui.

Chaque participant à la table ronde sera donc invité à proposer une réflexion à la fois : sur l’évolution de sa discipline et de ses thèmes de recherche propres au cours de la décennie écoulée, en tenant compte du changement politique global de la Russie pendant cette période ; sur les résultats et perspectives offerts par cette évolution, mais aussi sur les obstacles constatés et lacunes récurrentes ; sur sa position voire son expérience personnelle comme expert du fait religieux sollicité, ou non, par les pouvoirs publics, d’une part, par le monde associatif de l’autre.

Non destinée à une publication à court terme, la table ronde et ses débats doivent servir de substrat à l’élaboration d’un projet de recherche collectif sur l’expertise du fait religieux dans l’ancien monde soviétique à l’horizon 2014-17. Ils seront suivis en 2014 de plusieurs invitations de chercheurs de Russie et d’ailleurs pouvant être regroupées à nouveau sous forme d’atelier collectif. Les résultats de ces deux rencontres pourraient faire l’objet d’une publication en volume à l’horizon 2015, en prélude au projet de recherche en gestation.
Programme

09h30 : Michel Wieviorka (EHESS/FMSH) : Ouverture

09h45 : Stéphane A. Dudoignon (CNRS/CETOBAC) : Dialectique du “bon” et du “mauvais” islam : quelques contributions russes aux débats actuels
10h00 : Vladimir Bobrovnikov (Institut des études orientales, Moscou & FMSH) : Textes, gens et choses dans le discours public sur l’islam de Russie

10h45 : pause café

11h00 : Rafik Mukhametshin (Université islamique de Russie, Kazan & IISMM) : Les universités islamiques, la recherche et le discours public sur l’islam en Russie
11h45 : Ilnur Minnullin (Institut d’histoire, Kazan & FMSH) : Chercher trace du soufisme en Russie soviétique : ressources et méthodes

12h30 : pause déjeuner

14h00 : Shamil Shikhaliev (Université de la Ruhr, Bochum & FMSH) : Modernisation soviétique et diffusion du soufisme : de quelques paradoxes de l’histoire contemporaine
14h45 : Güzel Sabirova (Centre d’étude sur la jeunesse, Haute école des études économiques de Saint-Pétersbourg) : Faire la sociologie de l’islam en Russie : quelques problèmes et perspectives

15h30 : Pause café

15h45 : Sophie Roche (ZMO, Berlin) : Comment faire l’anthropologie d’un islam non observé ? La Russie, “son” islam, ses migrants
16h30 : Aude Merlin (Université libre de Bruxelles) : L’islam comme enjeu de mobilisation politique : le cas tchétchène (à travers quelques observations récentes)

Author: admin

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