Frontière politique et identifications : Des populations entre Ottomans et Habsbourg au XVIIIe siècle
Political Border and Identifications: Populations between Habsburg Monarchy and Ottoman Empire
CONFERENCE ORGANISEE A L’UNIVERSITE PARIS 1
(PANTHEON-SORBONNE)
LUNDI 22 OCTOBRE 2012 : 16H-19H30
salle Perroy (17, rue de la Sorbonne, Galerie Dumas, escalier R)
L’objectif de cette conférence est de réunir des chercheurs venus de différents pays – France, Serbie et Croatie – afin d’échanger sur la question des identifications aux frontières austro-ottomanes au XVIIIe siècle. Ce type de problématique a déjà été largement traité pour l’espace hexagonal et méditerranéen en France. Mais la situation de cette frontière terrestre qui passait, à l’époque, pour la limite orientale de l’Europe chrétienne puis de l’Europe policée ou éclairée, est beaucoup moins connue. Pourtant, l’histoire de la frontière en Europe centrale et balkanique s’appuie sur une tradition historiographique déjà longue et continue à faire l’objet de nombreux travaux portant sur des sources encore peu étudiées. Cette table ronde, qui se tiendra en anglais et en français, sera donc l’occasion de découvrir et de discuter ces perspectives de recherche.
Problématique :
Après le deuxième siège de Vienne en 1683, les frontières entre les puissances habsbourgeoise et ottomane ont été repoussées loin des pays autrichiens. Les traités de Karlowitz (1699), Passarowitz (1718), Belgrade (1740) et Sistova (1791) définissent une limite qui sépare les provinces d’Olténie, de Syrmie, du Banat, de Serbie et de la Bačka en suivant grosso modo le Danube. Les techniques de consolidation de la frontière militaire du côté habsbourgeois ont déjà été largement traitées par l’historiographie. L’autonomie politique et les formes de vie sociale particulières dans la région des confins militaires autrichiens sont elles-aussi bien connues. Mais l’enjeu que constitue la fixation et, plus encore, la permanence de la frontière politique pour les populations locales n’a pas encore fait l’objet d’une étude systématique. Une telle lacune peut paraître explicable dans la mesure où cette limite passe encore auprès de beaucoup pour l’extrémité orientale de l’Europe chrétienne voire de l’Europe policée. Le rôle de démarcation entre civilisations qu’elle a joué et continue d’occuper dans l’imaginaire collectif nous encourage à privilégier aujourd’hui une de ses dimensions oubliées, celle de lieu de passage.
Dans cette perspective, au-delà de la construction par les deux puissances ennemies de la ligne et de la zone frontière, c’est bien d’une population-frontière dont il faut s’occuper. Le
trait de frontière tracé au début du XVIIIe siècle constitue en effet une réalité nouvelle pour des hommes réunis au siècle précédent sous la Pax Ottomanica. Si elle divise, en empêchant ou ralentissant les contacts, elle est aussi une aubaine. La loyauté des populations locales envers les deux empires ennemis est un enjeu majeur en temps de guerre comme en temps de paix. Dans ce cadre, les définitions individuelles et collectives de l’appartenance politique et des droits qui lui sont associés dans les efforts de consolidation de la frontière des deux côtés jouent un rôle important. L’opportunisme dans la définition identitaire, l’incompréhension totale entre deux mondes, la mention d’une appartenance collective qui ne correspond pas toujours aux catégories en usage chez les administrateurs peuvent également intervenir dans le détournement de cette identification.
Du côté des États, la logique d’attribution des privilèges collectifs visant à s’assurer la participation des populations à l’effort de guerre coexiste avec la volonté d’exclure des zones stratégiques les ennemis potentiels. Communautés récemment immigrées, nouveaux convertis, fidèles d’une Église orthodoxe puissante et organisée des deux côtés de la frontière ou encore marchands passant fréquemment d’un empire à l’autre restent suspects. L’identification politique, qui permet de différencier sujets ottomans et habsbourgeois, et l’identification confessionnelle restent longtemps les outils principaux utilisés par Vienne et Istanbul dans le contrôle de la frontière. Mais l’incertitude de cette identification sur le terrain, la valeur changeante donnée à ces appartenances, sans oublier l’intervention d’autres critères – origine géographique, langue, statut social – prennent une place variable dans la pratique des institutions concernées.
Tous ces phénomènes attirent notre attention sur les usages de l’identification. En quoi se heurtent-ils à l’identité revendiquée par ceux qui passent la frontière ou vivent auprès d’elle, malgré un travail d’adaptation permanent mené par les fonctionnaires ? Comment cet outil, conçu pour contrôler la mobilité des habitants et éloigner les étrangers indésirables, peut-il être détourné par cette population-frontière ? Qu’est-ce que les contestations ouvertes de ce système de contrôle – fuite de communautés entières, banditisme transfrontalier, révoltes paysannes soutenues par la puissance adverse – nous apprennent sur le cadre politique du dialogue entre communautés et État à la frontière ? Dans quelle mesure peut-on parler de l’autonomie d’une société frontalière ou transfrontalière ? Plus qu’une logique de rationalisation des pratiques d’identification, ce sont les conflits et négociations sur les critères d’identification et leur usage politique entre communautés rurales, notables locaux, responsables religieux, chefs militaires, compagnies commerciales et autorités impériales qui seront au centre de notre propos.